Article paru dans l’hebdomadaire professionnel Agri n°21 du 22.05.2020
Pour ceux qui auront survécu aux passages des machines, l’avenir n’est franchement pas folichon : imaginez-vous vivre dans une forêt tropicale qui se transformerait en désert en l’espace de quelques heures à peine ? Ceux qui auront échappé aux couteaux se verront mourir de faim et de soif sous un soleil brûlant… L’efficacité des nouvelles machines, toujours plus rapides et plus lourdes, aggrave encore la situation : que ce soit avec six, huit ou dix pattes, comment fuir lorsque celles-ci mesurent à peine un millimètre ? Pour sauver ces petites bêtes ainsi que les plus grandes, voici quelques mesures simples à appliquer lors de la fauche et qui ont fait leur preuve.
Techniques de fauche
En premier lieu, il est essentiel de renoncer à l’utilisation de la faucheuse-conditionneuse : des études sur le terrain montrent que l'utilisation de cette machine entraîne des pertes importantes chez les petits animaux. Jusqu'à 60 % des sauterelles et des abeilles sont tués. Sans conditionneur, la perte est limitée à 8 %. L’utilisation du conditionneur est interdite pour la fauche des prairies extensives de qualité II, et sur toutes les surfaces de promotion de la biodiversité des fermes Bio Suisse. On préfèrera une faucheuse équipée d’une barre de coupe plutôt que rotative qui provoque aussi beaucoup de dégâts à la petite faune.
Pour que la plus grande faune comme les faons et les jeunes lièvres puissent s'enfuir, on fauchera de l'intérieur du champ vers l'extérieur. Dans la mesure du possible, on limitera le nombre de passages pour laisser une chance de survie aux petits animaux qui se trouvent encore dans la prairie. Veillez aussi à ne pas faucher trop bas : avec une hauteur d'environ dix centimètres, on augmente les chances de survie des amphibiens et des reptiles, par exemple. De plus, la qualité du fourrage n’en sera que meilleure.
Au bon moment et pas trop souvent
Afin de préserver les populations d’abeilles et de papillons, on fauchera le soir ou tôt le matin lorsque l’activité est faible. Une fauche tardive (après la mi-juin en plaine, après la mi-juillet en montagne) permet à certaines espèces de papillons et d'oiseaux nicheurs au sol d’achever leur développement. En outre, une fauche tardive permet à la plupart des fleurs de la prairie de se réensemencer et contribue ainsi à préserver et à augmenter leur qualité botanique. De longs intervalles de six semaines entre la première et la deuxième fauche sont nécessaires pour permettre aux oiseaux nichant au sol, comme par exemple le tarier des prés, d'élever leur couvée. Cette mesure est particulièrement importante en zone de montagne, où des populations existent encore et peinent à se maintenir.
Pas tout d’un coup
Lors de chaque fauche, on veillera à laisser environ 10 % de la surface non fauchée. Ces bandes refuges jouent un rôle important dans la survie des populations d'insectes et la recolonisation rapide de la prairie fauchée. Il est important de changer l'emplacement de la bande refuge à chaque coupe, sinon des broussailles commencent à se développer et la qualité de la flore peut se détériorer. Dans les vergers, il faudrait éviter de laisser les bandes refuges sous les arbres car elles favorisent la propagation des campagnols. Comme de nombreux papillons passent l'hiver dans de vieilles tiges d’herbes sous forme de larves ou de cocons, il faut maintenir les bandes refuges aussi pendant l'hiver. Sur des surfaces plus étendues, on essaiera d’échelonner la fauche: par exemple, on fauchera les deux tiers de la surface le 15 juin et le reste deux semaines plus tard. La fauche échelonnée est aussi recommandée à l’échelle d’une région, par exemple dans le cas d’une grande surface de prairies extensives adjacentes exploitées par différents agriculteurs.
Pour Bambi et Panpan
Le soir précédent la fauche, on pensera à parcourir la prairie ou à y installer des drapeaux pour tenir les jeunes lièvres et les faons à distance ou les informer qu’ils doivent quitter la prairie. Dans plusieurs régions, les chasseurs donnent volontiers un coup de main. Il existe également des caméras infrarouges à fixer sur la faucheuse pour détecter les animaux cachés dans l’herbe. Actuellement, de plus en plus d’amateurs de drones offrent leurs services, parfois même gracieusement, pour repérer les faons dans les prairies avant la fauche.
Toutes ces mesures sont particulièrement importantes dans les prairies extensives riches en espèces, mais valent aussi pour les prairies intensives fleuries. Elles contribuent à protéger le petit peuple de l’herbe et avec lui toute la biodiversité des prairies.
Véronique Chevillat, FiBL
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